Cassation – Espèces protégées – Mazaugues
Coup de tonnerre : la Cour de cassation annule l’arrêt de la Cour d’appel qui avait suspendu l’arrêt des travaux sur la carrière de Mazaugues !
Pour mémoire, la CA (Aix-en-Provence, 23 février 2023) avait suspendu les travaux d’exploitation de la carrière, car l’exploitant ne détenait pas de dérogation l’autorisant à détruire ou altérer des espèces protégées et leurs habitats.
Je parle souvent de cet arrêt important dans mes posts, rendue sur un appel que j’ai porté pour le compte de Val d’Issole Environnement et FNE PACA, car il nous sert quotidiennement, dans tous les cas où une entreprise détruit des espèces protégées sans détenir de dérogation.
La destruction d’espèces protégées et de leurs habitats était en effet qualifiée de trouble manifestement illicite, dont la cessation pouvait être demandée devant le juge judiciaire.
Par un arrêt rendu hier, la Cour de cassation rappelle que :
“18. Pour ordonner la suspension provisoire de tous travaux sur le site de la carrière jusqu’à l’obtention par la société d’une dérogation à l’interdiction de la destruction d’espèces protégées prévue par l’article L.411-2 du code de l’environnement, l’arrêt retient que l’action engagée par les associations ne vise ni à contester la légalité des arrêtés préfectoraux des 15 décembre 2010 et 29 juin 2012, ni à solliciter l’interdiction définitive de l’exploitation de la carrière, ce qui contrarierait ces arrêtés, mais à faire cesser des infractions aux dispositions de l’article L.411-1 du code de l’environnement, de sorte que, le préfet du Var ayant fondé ces arrêtés sur les seules dispositions du code forestier et celles du titre I du livre V du code de l’environnement relatif aux ICPE, le juge judiciaire, en se déclarant compétent pour connaître du débat engagé sur le fondement des articles L.411-1 et L.411-2 du code de l’environnement, relatifs à la protection du patrimoine naturel, ne contrarie aucune décision de l’administration et ne substitue en rien sa propre appréciation à celle de l’autorité administrative laquelle n’a pris aucune position sur ce sujet.”
Évidemment, je souscris pleinement à cette analyse, puisqu’elle valide l’argumentation que j’avais développée.
Toutefois, la haute juridiction juge que :
“17. (…) les autorisations environnementales délivrées au titre de la police de l’eau et de celle des ICPE, quelle que soit leur date de délivrance, des autorisations globales uniques excluant la compétence du juge des référés judiciaire pour se prononcer sur une demande de suspension d’activité au motif du trouble manifestement illicite résultant de l’absence de dérogation à l’interdiction de destruction de l’une de ces espèces protégées.”
Sauf que : l’autorisation ICPE de 2012 ne comportait pas d’étude faune/flore qui aurait permis de dresser une liste exhaustive des espèces présentes sur site, et d’étudier l’impact du projet sur celles-ci.
Elle en conclue :
“19. Il ajoute que la demande des associations ne se heurte pas à l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 13 octobre 2017 puisque le moyen d’illégalité qu’elle a écarté était inopérant dans le cadre du recours en légalité porté devant elle, l’absence de dérogation ne pouvant entacher d’illégalité l’arrêté mais seulement conduire au constat d’une infraction pour en tirer les conséquences en termes de poursuites et /ou mesures palliatives.”
“20. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a substitué son appréciation à celle de l’autorité administrative, a violé les textes susvisés.”
En conclusion :
- Dès lors que des travaux sont réalisés :
-
- en vertu d’une “dérogation” tirée d’un ancien arrêté ICPE devenu autorisation unique, qui n’a pas étudié son impact sur la faune et la flore présente,
- ou, probablement, d’une dérogation existante mais périmée ou très insuffisante. Par exemple, il est fréquent qu’une dérogation mentionne certaines espèces mais soit incomplète, ou que le site accueille de nouvelles espèces depuis. L’arrêt ne le mentionne pas, c’est ma propre compréhension de la position de la Cour de cassation.
En vertu du principe de séparation des ordres de juridiction, il revient :
– A l’administration de contrôler les garanties d’effectivité d’une dérogation ;
– Aux autorités pénales de constater l’infraction et d’en tirer les conséquences « en termes de poursuites et /ou mesures palliatives. »
- En pratique :
Quelle mesure d’urgence reste-t-il lorsque des travaux commencent et détruisent des espèces protégées au mépris des articles L. 411-1 et 2 du code de l’environnement ?
- A chaque fois que j’ai procédé à un dépôt de plainte sur ce fondement, je n’ai jamais obtenu de mesures d’urgences (telle que la saisine des engins qui concourent à l’infraction par exemple), ni d’autre action rapide.
- Le juge judiciaire nous invite à nous tourner vers l’administration et le juge administratif.
En pratique, on pourrait demander en urgence une action du préfet. Mais il faut attendre sa réponse, et en cas de silence, attendre deux mois pour contester son refus implicite, ce qui est bien trop long. Les espèces ont le temps de disparaitre complètement sous l’effet de travaux.
Au niveau des référés administratifs, l’absence de décision à contester ferme la voie du référé suspension, sauf à contester le refus du préfet, ce qui suppose d’attendre sa réponse (voir ci-dessus).
Les faits étant commis par une personne privée, la voie du référé liberté est, elle aussi, fermée.
Il reste le référé mesures utiles. Cette voie reste à étudier.
En tout état de cause, un recours effectif d’urgence en cas de non-respect de la législation autonome dediée à la protection des espèces protégées doit impérativement être trouvé.
Je procéderai évidemment à un commentaire de cet arrêt par la suite. Cour de cassation, 21 décembre 2023, pourvoi 23-14.343.