Les conséquences de la sécheresse sur les demandes d’urbanisme

Publié par SEO750115 le

Le Maire d’une commune peut-il opposer l’insuffisance de la ressource en eau pour justifier un refus de permis de construire, et sur quelle base juridique ? Commentaire sous TA TOULON, 23 février 2024, n°2302433

Rappelons en premier lieu que ce jugement intervient dans un contexte de sécheresse importante du Pays de Fayence.

Le SCOT du Pays de Fayence est en cours de révision, et prévoit une pause de 5 ans (2023-2028) dans le développement et la construction de nouveaux logements, pour permettre de mettre en place de nouvelles solutions d’approvisionnement en eau. 

Cette disposition n’est pas encore opposable. Dans cette attente, les maires doivent trouver le fondement juridique qui permettrait un refus légal d’autorisation d’urbanisme, en raison du manque d’eau.

 

Le 5 décembre 2022, un Fayençois dépose une demande de permis de construire dans le but de bâtir un immeuble à usage d’habitation de 5 logements, sur un terrain situé en zone UAb. Ce permis de construire est refusé par le maire de Fayence, au motif que :

  • Le projet ne bénéficie pas des dispositifs suffisants pour répondre au risque incendie ;
  • Le projet est de nature à porter atteinte à la salubrité publique ;
  • Le projet nécessite d’importants travaux pour être raccordé au réseau public de distribution d’eau potable ;
  • Le projet est contraire à une bonne insertion paysagère.

Ce refus de permis de construire a été déféré à la censure du Tribunal administratif de Toulon, par requête enregistrée le 27 juillet 2023.

Ne pouvant faire l’économie des moyens, le juge a statué sur chacun des motifs de refus soulevés devant lui. Il a ainsi considéré que seule l’atteinte à la salubrité publique pouvait justifier le refus du permis de construire litigieux.

En l’espèce, l’atteinte à la salubrité publique est justifiée par l’insuffisance de la ressource en eau. Le juge opère un raisonnement au cas par cas, au regard des pièces qui lui sont soumises :

« 4. En second lieu, pour refuser le permis de construire demandé, le maire de Fayence relève que le projet de construction aura des effets sur les ressources en eau dont la faible capacité est de nature à avérer un risque pour la santé et la salubrité publique. Le requérant soutient que le risque d’insuffisance en eau ne saurait être regardé comme un risque pour la sécurité et la salubrité publiques mentionnées par les dispositions précitées de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, et qu’en toute hypothèse l’insuffisance de la ressource en eau n’est pas démontrée. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu’une étude portant sur les besoins en eau, menée par un bureau d’études à la demande de la communauté de communes du Pays de Fayence, et reprise dans l’avis défavorable qu’elle a rendu sur le projet, met en évidence en juillet 2021 une insuffisance des ressources en eau à très court terme, compte tenu de l’assèchement de deux forages et du faible niveau du troisième. Ainsi, le moyen tiré de l’absence de toute démonstration du caractère insuffisant de la ressource en eau est infondé. Par suite, une telle insuffisance qui expose à la fois les futurs occupants de la construction en cause mais également tous les usagers, pourtant tiers à l’opération projetée, constitue une atteinte à salubrité publique, au sens des dispositions de l’article R.111-2 précité du code de l’urbanisme. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le maire aurait pu valablement accorder le permis de construire sollicité en l’assortissant de prescriptions. Par conséquent, c’est à bon droit que le maire a pu s’opposer au projet au motif qu’il est de nature à porter atteinte à la salubrité publique. »

Le juge a ainsi utilisé l’article R.111-2 pour fonder sa décision, lequel prévoit :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

La salubrité, au sens de cet article, s’entend comme la protection contre les atteintes à la santé publique, voire les atteintes à la qualité de vie.

Cet article permet un champ d’application très étendu ; c’est notamment sur son fondement qu’un permis de construire peut être annulé du fait de : l’utilisation de produits toxiques, rejets d’effluents liquides liés à une exploitation agricole, la protection de la nappe phréatique, nuisances olfactives, etc.

Cependant, jusqu’à maintenant, les rares refus de permis de construire au motif de l’insuffisance de la ressource en eau se fondaient plutôt sur l’article L.111-11 du code de l’urbanisme, s’agissant de la possibilité de raccorder le projet aux réseaux existants.

Ces refus étaient confirmés par les cours d’appel administratives [i].

Or, au cas présent, le tribunal administratif de Toulon n’a pas retenu le motif de refus fondé sur l’article L.111-11 du code de l’urbanisme :

« Si, tel que dit précédemment, il ressort des pièces du dossier que la commune établit bien l’insuffisance des ressources en eau, en revanche, les travaux dont la commune fait état pour y remédier, ayant trait à la recherche et à l’exploitation de nouvelles ressources en eau, ne sont toutefois pas directement nécessaires à la desserte du terrain d’assiette du projet, dont il n’est pas contesté qu’il puisse être raccordé au réseau public d’eau potable. Par suite, le requérant est fondé à demander l’annulation de ce motif illégal. »

Ici, le juge se fonde uniquement sur l’article R.111-2 du code de l’urbanisme pour confirmer la légalité du refus de permis de construire litigieux.

Cette décision est donc assez novatrice sur ce point.

En tout état de cause, un tel motif de refus sera toujours contrôlé au cas par cas.

En l’espèce, la commune de Fayence est, depuis ces deux dernières années, sous haute pression concernant sa ressource en eau. Cette situation ressort des études fournies par la commune, sur lesquelles le juge base son raisonnement.

Ainsi, le Maire qui souhaite fonder sa décision de refus sur un tel motif devra apporter des justifications circonstanciées et démontrer que des prescriptions n’auraient pas été suffisantes pour limiter l’atteinte à la salubrité publique, conformément à ce que prévoit le Conseil d’Etat[ii]

Cette décision est une nouvelle preuve que le droit administratif détient de nombreuses ressources pour s’adapter aux problématiques environnementales, il suffit de s’en saisir. Elle est aussi la preuve d’une imprégnation croissante des considérations environnementales dans le droit de l’urbanisme.

Si l’article R.111-2 devait devenir la nouvelle base légale pour limiter les constructions au regard d’impératifs environnementaux, il reviendra au juge de chercher l’équilibre entre la protection de l’environnement et la politique du logement, dans un pays dans lequel le nombre d’habitants ne cessent d’augmenter.

Vous êtes concerné par un pareil cas ?

Notre cabinet intervient fréquemment pour défendre les refus de permis de construire sur les communes de l’Est Var : Fayence, Montauroux, Tourrettes…. Ce jugement n’est pas figé dans le marbre. Il a été rendu en fonction de considérations factuelles propres au cas d’espèce et est toujours susceptible d’être frappé d’appel.

N’hésitez pas à contacter le cabinet Greencode Avocats, pour étudier votre dossier et vous proposer la meilleure stratégie.

Julia Durando – Juriste

[i] CAA Toulouse, 21 février 2023, n°20TL03185, CAA Marseille, 4 avril 2018, n°16MA04866 et plus ancien CAA Bordeaux, 6 novembre 2012, n°11BX02569

[ii] Conseil d’Etat, 26 juin 2019, n°41242

Catégories : Urbanisme